Le Garde Républicain en webtoon : interview de Thierry Mornet, son créateur
Créé à l’adolescence de Thierry Mornet, le Garde Républicain est devenu un pilier de la BD super‑héroïque à la française. Défenseur des valeurs républicaines et héritier d’un idéal intergénérationnel, ce héros a traversé les époques avec constance et inventivité. Aujourd’hui, grâce à l’adaptation numérique print-to-web réalisée par Babel Gomme, il se lance au format webtoon. Nous avons interrogé son créateur pour comprendre les coulisses de cette métamorphose et les ambitions qu’elle incarne.
Thierry, tu as créé le Garde Républicain à l’adolescence. Qu’est-ce qui, selon toi, a permis à cette idée de traverser les décennies ?
Thierry Mornet : Si l’on se place sur le terrain des idées qui traversent les récits (même si je ne revendique pas que la série soit là pour délivrer à tout prix un message qui pourrait être lénifiant et lourd), c’est sans doute l’universalité des valeurs que défend et incarne le personnage : la tolérance, le vivre-ensemble, la liberté, l’égalité, la fraternité, etc. Plus que jamais les idées issues du siècle des lumières doivent être défendues et mises en avant face à l’obscurantisme. Le principe également d’une laïcité bien mise à mal – ou mal interprétée – depuis des décennies, me tient personnellement à cœur.
C’est également un personnage profondément “lumineux”, porteur d’espoir, éloigné de ses homologues américains qui frappent d’abord et discutent ensuite.
En revanche, le fait de créer des aventures fun, sur un fond historique riche, mettant en scène des incarnations différentes du personnage à travers les siècles, en font un héros “protéiforme”, qui n’est pas monolithique (contrairement aux super-héros traditionnels, notamment américains). Ce principe permet de raconter tout type de récit, dans des genres totalement différents.
Comment as-tu vécu la transformation de ton héros en webtoon ? As-tu eu le sentiment de perdre ou de gagner quelque chose dans cette adaptation ?
Thierry Mornet : J’en suis particulièrement ravi et fier ! Je redécouvre, avec une narration qui est propre au webtoon, des récits qui avaient été réalisées pour la BD. Cela leur donne une seconde vie, qui m’enthousiasme !
Je n’ai aucunement l’impression de perdre quoi que ce soit avec cette adaptation, bien au contraire. Le fait de permettre au personnage de vivre sous une autre forme narrative est une formidable manière de lui offrir de la visibilité, et de toucher – je l’espère – un public différent que celui de la bande dessinée.
Chaque génération de Garde incarne une époque. Que dit Maxime Saint-Clair de la France d’aujourd’hui ?
Thierry Mornet : Bonne question…
Il aurait sans doute beaucoup à dire, et pas mal à gamberger, voire à s’inquiéter, notamment face à la montée d’idées radicales, du populisme, du recul de la science face aux croyances…
Max est un personnage qui reflète probablement assez fortement ma manière d’être et de penser. Il a ses moments de doute, ses certitudes… souvent mises à mal par le principe de réalité.
Il essaye de faire ce qu’il peut pour défendre des valeurs qui lui tiennent à cœur, à la hauteur de ses moyens. Il échoue parfois, essaye de remettre en question. Il reste persuadé qu’il peut aider et sauver tout le monde, mais ses idéaux en prennent un coup régulièrement. Il se rend également compte qu’il ne peut pas tout résoudre tout seul, que l’on a besoin de s’unir pour faire face à certains problèmes. Il comprend que la vie est complexe, qu’elle n’est pas définie en termes manichéens de noir et de blanc, mais faite d’une infinie variation de gris.
Le format webtoon impose un nouveau rythme narratif. Envisages-tu d’écrire des épisodes spécifiquement pour ce format vertical ?
Thierry Mornet : Je n’y ai jamais pensé véritablement, car je reste concentré en priorité sur la narration en BD, avec laquelle je me sens à l’aise. Mais ce serait intéressant, s’il y a une demande dans ce sens, de me frotter à ce nouveau type de narration.
En fait, oui, j’adorerais essayer…
Le Garde Républicain est un super-héros français, ce qui reste rare. Pourquoi, selon toi, la France a-t-elle si peu investi ce genre ?
Thierry Mornet : En fait, si l’on regarde l’histoire de la pop culture française depuis la fin du XIXe siècle, les super-héros français ne sont pas si rares que cela. Xavier Fournier a écrit – sur ce sujet – un formidable ouvrage intitulé Super-héros, une histoire française, et qui passe en revue un grand nombre de créations dans ce domaine grâce à un véritable travail d’investigation journalistique.
Ce qui donne l’impression que les super-héros sont rares tient au fait qu’ils ne bénéficient pas d’une visibilité égale à leurs cousins américains, pour ne citer qu’eux, mais aussi parce qu’il ont quasiment disparu du devant de la scène pendant des décennies, notamment au cours de la 2e partie du 20e siècle (pour diverses raisons), avant d’opérer un timide retour dans les années 1980.
Le Garde fait partie d’une “nouvelle vague” de super-héros français, poussée par des créateurs qui ont été nourris de super-héros Marvel et DC, mais qui se sont emparés du genre afin de le (re)localiser en France. La richesse culturelle de notre pays est en effet un terreau idéal pour développer ces personnages et leur faire vivre des super aventures.
Les raisons pour lesquelles les créateurs, les éditeurs et les producteurs français ont peu ou pas investi le genre sont multiples. Pêle-mêle, mais cela mériterait d’être développé, on peut citer une censure du genre juste après la guerre, un certain désintérêt du public, le “phagocytage” de la pop culture française et européenne – volontiers acceptée par les consommateurs – par les Américains et depuis quelques décennies par les asiatiques, etc.
Plus généralement, en dépit de la préexistence de personnages français dans ce genre, si un jardin n’est pas entretenu, les plantes qui y poussent dépérissent jusqu’à disparaître.
Si tu devais imaginer une collaboration idéale entre le Garde Républicain et un héros étranger, lequel choisirais-tu, et pourquoi ?
Thierry Mornet : Assez logiquement, puisque nous vivons dans un monde de plus en plus “globalisé”, Le Garde n’est pas le seul personnage de cette trempe isolé dans son pays. L’idée selon laquelle, dans cette petite mythologie, d’autres héros existent dans leurs pays respectifs (Espagne, Allemagne, Italie, etc.) coule de source. D’ailleurs, Le Garde a déjà rencontré El Bravo (au cours de la WWII) et La Brava dans un récit contemporain. Et d’autres sont à venir !
En revanche, pour répondre à ta question, je dois avouer qu’une rencontre entre Le Garde et Captain America ou The Phantom, ça aurait “de la gueule”, n’est-ce pas ?
Que te reste-t-il à accomplir avec ce personnage ? Y a-t-il une époque, un combat ou une version du Garde que tu n’as pas encore exploré ?
Carrément ! Il reste des centaines de récits à inventer. J’ai un dossier rempli de synopsis qui n’attendent que du temps libre de ma part pour être développés !!
Quant aux époques, les 250+ dernières années de l’histoire de France sont d’une richesse incroyable pour venir y greffer des récits du Garde. La période napoléonienne, le 19e siècle, la Première Guerre mondiale, les années folles, les attentats terroristes des années 1990 en France, l’empire colonial – appelons-le ainsi – de la France (et surtout la place du Garde de ces époques face à cela), etc. sont autant de contextes, de périodes historiques et géopolitiques, de questions que j’ai envie d’explorer !
Quant à ce qui reste à accomplir avec ce personnage, j’avance. Il existe une série de statuettes, de nouveaux numéros du Garde sont en préparation (notamment une version décalée humoristique, dans l’esprit du Captain Biceps de Zep et Tebo), Mais je crois que ce qui serait le top, c’est une adaptation en dessin animé (voire en live action). D’ailleurs cette version webtoon est un formidable “cadeau” pour moi, et un premier pas vers une adaptation de la série sur divers media !
L’ado qui avait créé ce personnage dans sa chambre a les yeux qui brillent de voir son petit héros de papier prendre vie de la sorte. Merci beaucoup pour cela !
Merci, Thierry !
Avec le Garde Républicain, Thierry Mornet ne se contente pas de revisiter le genre super-héroïque à la française : il en redessine les contours, entre fidélité aux valeurs républicaines et audace narrative. Loin d’un simple exercice nostalgique, sa démarche embrasse les nouveaux formats pour toucher de nouvelles générations de lecteurs. Et ce n’est qu’un début : tant que l’histoire de France restera une source d’inspiration, le Garde aura encore bien des combats à mener.