Webtoons

Que sont les webtoons ? Si le terme de webcomic fait en général référence à une bande dessinée conçue pour être lue en ligne et publiée sur le web, le terme webtoon, mot d’origine coréenne se voulant synonyme de webcomic, est peu à peu devenu symbolique d’un bouleversement graphique né de la combinaison de deux supports (la BD et le numérique), un style qui pour l’instant reste en majeure partie propre à la Corée du Sud. Les auteurs de webtoon se sont emparés du concept du numérique (son apparence, son fonctionnement, ses outils, ses limites) afin d’y adapter parfaitement leurs œuvres graphiques et de pouvoir mettre les codes du numérique (format des pages, défilement de texte…) au service de l’histoire qu’ils souhaitent raconter.

Si quelques auteurs francophones ont déjà lancé leur webtoon, la plupart des œuvres de ce genre sont étrangères, notamment coréennes ou américaines. Leur publication en VF se fait donc par le biais d’une traduction de l’anglais vers le français ou du coréen vers le français, puis d’un lettrage webtoon en langue française. L’agence Babel Gomme est spécialisée dans ces services.

Le webtoon : une vraie BD numérique

L’une des particularités les plus caractéristiques du webtoon est son format vertical. Contrairement aux webcomics japonais et américains, par exemple, dont la plupart adoptent le même format que les versions papiers, les webtoons ont rapidement opté pour un format plus adapté à la lecture en ligne – et ce encore plus depuis la popularisation des smartphones. Le lecteur de webtoons n’a qu’à faire défiler les images du bas vers le haut, à l’aide de son pouce ou de sa souris, pour pouvoir découvrir l’histoire. Si ce format vertical ne permet aucune liberté de lecture (le lecteur n’a aucune visibilité d’ensemble, contrairement à lorsqu’il lit une BD en format papier), il ouvre en revanche la voie à de nombreuses possibilités graphiques inédites. Certains auteurs se sont par exemple amusés à utiliser cette absence de liberté pour faire monter le suspense dans leurs récits. Sur une BD, pour qu’une révélation narrative ait plus d’impact, il faut faire en sorte que le lecteur tourne la page pour y découvrir l’information, surtout si celle-ci est visuelle ; s’il peut la voir alors qu’il n’a pas encore lu le contexte, son impact s’en trouvera diminué. Avec un format vertical, un lecteur ne pourra pas se faire divulgâcher la survie de tel personnage en constatant sa présence sur la case d’à côté, par exemple.

Un format vertical permet également de jouer avec les perceptions du temps et de l’espace, notamment en dessinant des cases particulièrement longues, par exemple pour donner une impression de profondeur, d’étirement ou de longueur. Sur un format imprimé, un tel effet graphique serait impossible à mettre en place en raison de la taille limitée des pages. Si les webtoons sont limités dans leur largeur par la taille de l’écran, ils n’ont en revanche aucune restriction quant à leur longueur, ce qui permet aux auteurs de webtoons de pouvoir s’exprimer plus librement.

L’art de la gouttière

Une autre spécificité des webtoons réside dans l’utilisation des gouttières inter-cases. Dans une bande dessinée classique, les gouttières sont surtout de fines bandes blanches ou noires qui servent de frontière entre les cases. Pourtant, elles jouent un rôle majeur dans la compréhension d’une histoire ; elles servent de transition, de passage d’une case à une autre, en particulier lorsque la BD met en scène une ellipse. Dans les webtoons, la gouttière devient un lieu d’expression graphique, qui contribue activement au schéma narratif de l’œuvre. Certains choisissent de dessiner des gouttières plus ou moins longues pour exprimer une durée ; d’autres les colorisent afin de donner un ton spécifique à l’œuvre ; d’autres encore y incluent un élément de l’histoire, comme par exemple le climat, ou l’atmosphère de telle ou telle scène ; on peut parfois aussi y trouver du texte. Utiliser les gouttières comme s’il s’agissait d’une bulle peut par exemple permettre de séparer narration et dialogues, mais aussi d’accorder davantage d’espace au dessin, de laisser le lecteur apprécier les images sans devoir rien y lire, et d’aérer la visibilité globale du webtoon.

Certains auteurs de webcomics vont jusqu’à considérer que ces œuvres conçues pour le numérique, en raison de leur nature virtuelle, sont sans contraintes et permettent donc un dessin qui ne serait pas restreint par un format quelconque, contrairement aux bandes dessinées sur papier. Toutefois, il convient de nuancer cette remarque en notant que le webtoon, malgré son côté innovateur et sa constante évolution en matière de support, reste cantonné à la taille de nos écrans et doit s’adapter à l’accessibilité plus ou moins variable d’Internet.

Ces particularités propres au webtoon en font toutefois une œuvre parfaitement adaptée à la lecture en ligne, et dont les publications papiers auraient du mal à retranscrire l’atmosphère originale. Néanmoins, en dehors de la Corée du Sud, peu de pays ont adopté ces caractéristiques, pourtant si adaptées au format numérique, pour leurs webcomics qui restent souvent sur un format classique, très similaire aux formats imprimés. Un tel phénomène peut en partie s’expliquer par la réticence de certains lecteurs à se lancer dans la lecture d’une œuvre dont on ne voit pas la fin et qui implique de faire défiler l’écran, une action parfois trop fastidieuse dès lors que des limitations techniques s’imposent.

Les webtoons : une nouvelle façon de raconter des histoires

Webtoons et transmédialités 

Grâce à leur format numérique, les webtoons s’avèrent particulièrement adaptés pour encourager la collaboration entre différents types de médias. Contrairement aux bandes dessinées imprimées, les auteurs de webtoons peuvent combiner d’autres supports numériques à leurs œuvres graphiques pour enrichir et étoffer leurs récits. Par exemple, certains webtoons associent certaines cases ou chapitres à de la musique, afin de retranscrire plus d’émotions dans leur histoire. Pour aller encore plus loin, certains auteurs ont même intégré dans leurs œuvres des séquences vidéo, des images en 3D, ou même des photos. L’immensité des possibilités graphiques offerte par les différents logiciels numériques permet aux auteurs de webtoons de combiner dessin traditionnel et nouvelles technologies, et d’ainsi créer des styles d’expression graphique entièrement novateurs. La liberté d’expression graphique des webtoons leur permet aussi d’être plus faciles à adapter au cinéma ou à la télévision.

De nombreux webtoons à succès sont publiés sur papier. Aujourd’hui, beaucoup de séries populaires se voient imprimées avant même que leur publication en ligne ne soit terminée. Certains ont tenté de garder cette transmédialité dans les versions papiers en incluant par exemple des QR codes à côté des cases, pour que les lecteurs puissent avoir accès aux vidéos ou musiques originellement intégrés à l’œuvre en ligne. On assiste alors à un exemple riche en transmédialité ; le lecteur lit d’abord le webtoon sur une version papier, puis scanne le code QR avec son smartphone afin de regarder une cinématique qui vient étoffer l’œuvre.

Il est fréquent de voir des webtoons adaptés en films, séries, comédies musicales ou encore pièces de théâtre. En Corée du Sud, le succès des webtoons a encouragé les producteurs à surveiller de près les sites de publications de webtoons afin de repérer les scénarios potentiels. Aujourd’hui, même le lecteur lambda repère parfois les œuvres pouvant bénéficier d’une adaptation, et certains s’amusent à partager des listes d’acteurs correspondant à tel ou tel personnage. Une potentielle transmédialité est donc envisagée parfois quelques semaines après la naissance d’un webtoon ; il s’agit d’œuvres qui sont directement lues et perçues comme pour être adaptées ou enrichies grâce à d’autres supports, qu’ils soient musicaux, en papier ou sur écran.

Dans certains cas, la transmédialité des webtoons sert aussi à étendre l’univers créé dans l’œuvre originale, en proposant des histoires inédites sur certains personnages ou périodes de temps qui ne sont abordés qu’en surface dans le webtoon d’origine – voire pas abordés du tout. Contrairement aux romans graphiques américains, la plupart des webtoons n’ont pas de suite. Une seule histoire d’un webtoon tient rarement sur moins de deux volumes d’au moins cent pages, et très peu de webtoons adoptent un format de plusieurs histoires se déroulant dans le même univers mais avec des protagonistes différents ou à d’autres périodes de temps.

Le webtoon n’est donc pas simplement un sous-genre du webcomic. Il s’agit d’un style et d’un système à part entière, qui a révolutionné les codes biens établis de la bande dessinée et du roman graphique en proposant une nouvelle approche par le numérique. Contrairement aux webcomics, les webtoons sont une forme d’innovation collective, car ils forment ensemble un courant majeur dans le monde du récit graphique. À travers leur gratuité, leur accès facilité, leur publication sur plateformes numériques, même la production et la diffusion des webtoons sont uniques. L’ouverture aux amateurs (n’importe qui peut se lancer et proposer son webtoon à un site hébergeur), extrêmement simplifiée par rapport aux processus d’éditions pour une bande dessinée, un roman graphique ou un manga, en font également un support artistique inédit – sans oublier les communications accrues entre auteurs, lecteurs et producteurs. Sans aucun doute, le webtoon a su bouleverser la culture de la bande dessinée, et tous ses aspects novateurs feront peut-être de lui un des supports de lecture les plus populaires d’ici quelques années.